Transfert de technologies

L’étape du transfert de technologies (généralisable en transfert de résultats de recherche) dans le processus de valorisation.

article rédigé par Isabelle Chéry et Gaëlle Calvary


La valorisation de la recherche publique est définie comme le moyen de « rendre utilisables ou commercialisables les résultats, les connaissances et les compétences de la recherche »[1]. Le transfert est l’étape ultime du processus de transmission à un tiers. Il peut être motivé par une volonté d’exploitation ou de défense.

Pour rappel, on distingue classiquement deux voies de valorisation :

- La valorisation « market-pull » menée en partenariat avec des entreprises. La recherche est axée sur la résolution d’un problème précis proposé par l’entreprise. L'innovation est ici co-construite sur des besoins du marché préalablement identifiés par l’entreprise. Cette recherche collaborative a pour objectif d'améliorer la connaissance dans le domaine et, si possible, de conduire à des avancées qui permettront à l’entreprise de se démarquer vis-à-vis de ses concurrents. Ces résultats pourront être protégés par de la propriété intellectuelle (logiciel, brevet) ou par le secret (savoir-faire) et feront l’objet d’un contrat de transfert à l’entreprise.

- La valorisation « techno-push » s’ancre dans des résultats de recherche innovants obtenus en interne dans les laboratoires. Ici l'invention est poussée vers le marché. L'objectif est d’identifier des applications pertinentes et de déterminer la structure la plus adaptée pour porter l’innovation et développer le marché : une entreprise existante ou la création d’une entreprise dédiée (start-up/spin-off souvent deeptech). Pour cela, le processus de valorisation consiste à dé-risquer le transfert du résultat vers le milieu socio-économique au travers d’étapes clefs :

  • Protéger le résultat de recherche en fonction de la nature du résultat et des droits de propriété intellectuelle (PI) qu’il peut générer (brevet, logiciel, savoir-faire, etc.),
     
  • Prématurer le résultat en développant une preuve de concept concrétisant le résultat. Cette étape peut s’effectuer en parallèle de la protection ou successivement si typiquement des expérimentations complémentaires sont nécessaires à la rédaction d’une demande de brevet. Cette phase a pour objectif d’identifier les problèmes résolus par la technologie et les grands domaines d’application potentiels. La montée en maturité technologique et marché est respectivement d’un TRL 2 à un TRL 34 et d’un BRL 1 à un BRL 3,
     
  • Maturer le résultat en transformant la preuve de concept en un démonstrateur « marché ». Le démonstrateur est réalisé conformément à un cahier des charges établi avec des entreprises représentatives des clients potentiels, identifiées par une étude de marché. Ce document spécifie les usages ou applications ciblés ainsi que les normes et réglementations en vigueur dans les domaines d’application correspondants. La propriété intellectuelle (perfectionnements ou nouvelle PI) est consolidée. La montée en maturité technologique est d’un TRL 34 à un TRL 5-6. Le saut en maturité marché est d’un BRL 4 à un BRL 6 correspondant à la segmentation du marché et au choix stratégique de positionnement.
     
  • Transférer le résultat en signant un contrat de cession ou d’exploitation avec une entreprise existante ou via la création d’une startup. La passation permettra l’industrialisation et la mise sur le marché du résultat, ce qui correspond à un passage de maturité marché d’un BRL 7 à un BRL 9. Le résultat passe du stade de prototype aux préséries ce qui correspond à une montée en maturité technologique d’un TRL 67 à un TRL 9.

En market-pull et techno-push, le transfert est formalisé par un contrat permettant l’exploitation par l’entreprise des résultats protégés par des droits de PI ou formalisés par un savoir-faire : c’est le contrat de transfert. Il peut prendre différentes formes en fonction de la stratégie de transfert et des accords passés avec l’entreprise notamment lorsque la Propriété Intellectuelle transférée est issue d’un contrat de collaboration de recherche. Ainsi le contrat de transfert peut se traduire par un contrat de licence (appelé licensing direct) ou un contrat de copropriété et d’exploitation ou encore un contrat de cession. La négociation du contrat de transfert concerne plusieurs points dont les contreparties financières (i.e les retours d’exploitation aux détenteurs du résultat). Contrairement à la valorisation market-pull où l’entreprise a l’expertise nécessaire et connait le marché, la valorisation techno-push nécessite de pousser le résultat vers le marché et demande un investissement long. Dans ce cas, la signature du contrat ne finalise pas le transfert : il est indispensable d’accompagner le transfert pour augmenter les chances d’industrialiser et de mettre sur le marché l’innovation. D’une part, cet accompagnement peut être assuré par les personnes à l’origine de l’invention (mécanisme de la loi sur l'innovation pour les chercheurs des laboratoires publics). D’autre part, le transfert peut être accompagné par un contrat de collaboration de recherche avec le laboratoire (contrat de collaboration, laboratoire commun, accord de consortium, etc.) à l’origine de l’invention pour continuer les développements. Ces collaborations alimentent le cercle vertueux de la valorisation avec de nouveaux financements pour le laboratoire, des perfectionnements ou de nouvelles inventions pour l’entreprise, le recrutement de jeunes diplômés, etc.

En techno-push, deux voies de transfert peuvent être envisagées : la création de start-up ou le transfert à une entreprise existante.

  1. La création de start-up

Si les chercheurs à l'origine du résultat innovant ou si un porteur extérieur (par exemple un post-doctorant ayant participé à la maturation) sont motivés pour créer une start-up et si le marché visé est suffisamment important pour faire vivre une nouvelle structure alors la création d’entreprise est envisageable.

Pour fiabiliser cette nouvelle structure, il est important d’être accompagné par des professionnels de l'incubation avant de créer l’entreprise afin d’en construire un Business Model (BM) et un Business Plan (BP). Le Business Model ou modèle économique décrit la logique générale de fonctionnement du projet de la start-up, c’est-à-dire sa stratégie pour gagner de l’argent. Il explique comment l’entreprise crée, délivre et capture de la valeur. Le business plan ou plan d’affaire explique la mise en œuvre opérationnelle (stratégie de l’entreprise, vision du dirigeant, équipe, marché, etc.) et chiffrée (bilan prévisionnel, compte de résultats prévisionnels) du modèle économique. La phase d’incubation travaille sur tous les points permettant de fiabiliser les BM et BP :

  • Concevoir l’offre de la future start-up par la production de préséries (TRL 6-7 à TRL9),
  • Identifier les couples produit/marchés et leur priorisation,
  • Sécuriser la propriété intellectuelle au travers d’études de liberté d’exploitation,
  • Renforcer l’équipe entrepreneuriale et la répartition des rôles/missions, du capital et du pouvoir,
  • Mettre en place les documents juridiques nécessaires à la création de l’entreprise et ses relations contractuelles de tout ordre (contrat d’exploitation, contrats clefs avec les partenaires),
  • Communiquer afin d'accéder aux clients et partenaires de la future start-up (développement d’identité et de notoriété, etc.),
  • Structurer les aspects financiers du Business Plan pour mobiliser les financements adaptés et attirer les investisseurs.

Une fois la start-up créée, elle peut être accompagnée par d’autres structures comme les accélérateurs, les pépinières d’entreprises, le réseau Entreprendre, etc. Elle peut également être hébergée au sein du laboratoire à l’origine de l’invention afin de bénéficier de l’infrastructure telle que les plateaux techniques.

  1. Le transfert vers une entreprise existante

Si le marché est très ciblé sans place suffisante pour faire vivre une nouvelle structure ou s’il n'y a pas de volonté des chercheurs ou d’un porteur exogène à créer une start-up, alors il est fait le choix de transférer le résultat de recherche directement vers une ou des entreprises existantes selon la stratégie de transfert. Les entreprises susceptibles d’intégrer la technologie ont été identifiées par l’étude de marché menée en phase de maturation. Cependant l’accroche industrielle en valorisation techno-push est difficile et il est souvent nécessaire de poursuivre la prospection de partenaires industriels. Pour identifier de nouvelles cibles potentielles dans les domaines d’application ciblés, il faut s’appuyer sur un solide réseau et sur les acteurs majeurs de propriétaires de brevets par le biais des bases de données brevets. Internet, les réseaux professionnels, salons et congrès sont autant de sources de contacts et d’informations possibles.

Le choix de l’entreprise qui intégrera in fine le résultat est fonction de ses compétences et de ses capacités financières à mettre l’invention sur le marché. Les échanges avec l’entreprise se feront sous couvert d’un accord de confidentialité. En général, avant d’acter le transfert, une option sur licence est signée et une étude de faisabilité conduite entre le laboratoire d’origine et l’entreprise ciblée. L’étude vise à « dérisquer » le transfert pour l’entreprise en confirmant son intérêt ou non.

Parfois, création de start-up et entreprises existantes sont combinées pour maximiser l’impact de l’innovation : la start-up valorise le résultat sur un domaine ciblé et des entreprises existantes le font fructifier hors du domaine de la start-up.