Brevet : quelles conditions de brevetabilité ?

Rédigé par Isabelle Chéry et Gaëlle Calvary
 

Le brevet (B comme Brevet) est un mode de protection des créations intellectuelles (P comme Propriété intellectuelle). La protection d’une création intellectuelle permet à son titulaire d’obtenir un droit exclusif d’utilisation et donc d’interdire à un tiers d’utiliser son invention sans son autorisation. Certaines créations ne nécessitent pas de formalités pour être protégées : la protection nait du fait-même de leur création. D’autres créations comme les inventions techniques doivent formellement être déposées pour faire l’objet d’un titre de propriété opposable aux tiers. La protection spontanée ou le titre de propriété apportent un avantage concurrentiel à son titulaire. Pour rappel, afin de donner une longueur d’avance au titulaire d’un brevet, une demande de brevet n’est publiée que 18 mois après son dépôt.
Le présent article précise les conditions de brevetabilité pour déposer et obtenir la délivrance d’un brevet. Il a été validé par Quentin Bronchart, Conseil en Propriété Industrielle du cabinet Hautier IP, que nous remercions chaleureusement.
 

Que peut-on protéger ?


Les idées sont de libre parcours. Seule la réalisation concrète de la création peut être protégée, donc seuls les moyens qui permettent de concrétiser ces idées peuvent être protégés.
Il existe plusieurs droits de propriété intellectuelle (P comme Propriété intellectuelle) en fonction de la nature de la création intellectuelle.
Les créations d’ordre technique, c’est-à-dire les inventions techniques, peuvent générer de la propriété industrielle en étant protégées par le brevet.



Quelles sont les conditions de brevetabilité d’un brevet ?


Pour être brevetable, une invention doit respecter les trois critères suivants :
 
  • L’invention doit être nouvelle :
Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique, c’est-à-dire qu’elle n’est pas intégralement décrite dans un document antérieur à la date de dépôt du brevet. Dans certains pays notamment en France, la nouveauté doit être absolue. Ainsi, si l’inventeur divulgue son invention avant de déposer la demande de brevet, l’invention n’est plus protégeable. Dans d’autres pays comme les USA, il existe un délai de grâce d’un an durant lequel l’inventeur qui est à l’origine de la divulgation de son invention peut déposer une demande de brevet sans que sa propre divulgation ne lui soit opposable.

Pour le dépôt français, l’état de la technique comprend ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite (publication, demandes de brevet de tous les pays déposées avant ladite demande de brevet et publiées à cette date) ou orale (conférence, congrès etc…). Il existe également un état de la technique caché mais qui peut aussi être opposable au titre de la nouveauté : les demandes de brevets non encore publiées au dépôt de ladite demande de brevet (car en deçà du délai de 18 mois de publication) mais déposées avant cette date de dépôt et qui désignent la France, directement ou via une demande PCT ou une demande de brevet européen.

Pour une demande de brevet européen, la même règle s’applique : sont opposables au titre de la nouveauté, les demandes de brevet européen ou les demandes Euro-PCT[1], non encore publiées à la date de dépôt de ladite demande de brevet européen mais déposées avant cette date de dépôt.
Ce type de demandes opposables, en France et en Europe, à la nouveauté de ladite demande de brevet alors même qu’elles n’ont été publiées qu’après la date de dépôt de ladite demande, sont appelés généralement, et par la suite, des « demandes intercalaires ».
Par ailleurs, la nouveauté doit s’apprécier de façon objective, document par document, revendication par revendication, antériorité par antériorité. Chaque revendication, en prenant en compte toute éventuelle revendication dont elle dépend, doit être nouvelle, c’est-à-dire qu’aucun autre document ne doit la décrire entièrement. Sinon la revendication n’est pas nouvelle.
 
  • L’invention doit être le fruit d’une activité inventive :
Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique. L’homme du métier est l’équivalent d’un exécutant dans le domaine de l’invention. Il n’est pas capable d’inventer quelque chose. C’est un personnage fictif avec des qualités ordinaires et des connaissances normales du métier.
Pour la France et l’Europe, l’état de la technique pour l’activité inventive ne comprend que ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite (publication, demandes de brevet de tous les pays déposés avant ladite demande de brevet et publiées à cette date) ou orale (conférence, congrès, etc…).
Les demandes intercalaires ne sont pas opposables au titre de l’activité inventive en France et en Europe. Cette règle n’est pas valable, par exemple, pour une demande déposée aux USA où il sera tenu compte, pour apprécier l’activité inventive, de toute demande intercalaire.
Pour apprécier l’activité inventive, il faut se remettre dans les conditions de l’état de la technique avant le dépôt. Cet état de la technique est matérialisé essentiellement pas les documents d’art antérieur cités par les Offices de brevet à l’encontre de la demande de brevet. Il faut en avoir une synthèse théorique. Plus particulièrement, on fait la supposition que l’homme du métier connait les documents d’art antérieur cités ; il faut ensuite chercher à déterminer si l’homme du métier serait parvenu de façon évidente à l’objet revendiqué dans ladite demande, en considérant l’art antérieur dans son ensemble, et notamment en combinant entre eux les enseignements des documents de l’art antérieur. Si l’art antérieur suggère ou révèle à l’homme du métier (exécutant) comment réaliser l’objet revendiqué alors l’objet revendiqué n’implique pas d’activité inventive.
En considérant maintenant ce qui a été établi plus haut relativement à l’appréciation de la nouveauté et en mettant ces considérations en perspective avec ce qui vient d’être dit relativement à l’activité inventive, les étapes permettant d’apprécier l’activité inventive peuvent être énoncées comme suit :
  • Déterminer les caractéristiques de l’objet revendiqué qui le distinguent par rapport à la divulgation d’un document d’art antérieur choisi comme état de la technique le plus proche,
  • Déterminer l’effet technique des caractéristiques distinctives précédemment identifiés,
  • Au vu de cet effet technique, formuler un problème technique que l’objet revendiqué permet de résoudre sur l’état de la technique le plus proche,
  • Evaluer si l’homme du métier serait parvenu de façon évidente, pour résoudre le problème technique formulé précédemment, à l’objet revendiqué en considérant l‘art antérieur dans son ensemble.
  • Notons qu’en plus de l’art antérieur, l’homme du métier peut utiliser ses connaissances générales dans le domaine technique considéré.
  • Un contre-exemple est le stylo gomme. Il n’est pas inventif car, le crayon et la gomme étant connus, il est évident, pour l’homme du métier (c’est-à-dire le fabricant de crayons), de juxtaposer un crayon et une gomme pour écrire et gommer avec le même outil.
  • Dans les laboratoires de recherche, les équipes de chercheurs sont souvent à la croisée de différents domaines techniques leur permettant de produire des inventions ; l’origine pluridisciplinaire d’une invention est susceptible d’en renforcer la hauteur inventive.
 

[1] Une demande Euro-PCT est une demande PCT entrée en phase européenne par le paiement de la taxe de dépôt afférente et la fourniture d’une traduction de la demande PCT dans une des trois langues officielles de l’Office Européen de Brevets, si la demande PCT est rédigée dans une autre langue.
 

  • L’invention doit être susceptible d’une application industrielle :
Une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie y compris l’agriculture.



Les éléments énumérés ci-après sont exclus de la brevetabilité

 
  • Les découvertes :
    Par exemple la simple découverte d'un élément du corps humain dans son environnement naturel, y compris la séquence, même partielle, d'un gène. Ainsi les séquences d'ADN ne sont pas brevetables. Elles doivent être déposées dans des banques de données et sont ainsi accessibles au domaine public. Une protection par brevet peut néanmoins être possible sur des produits ou procédés issus de ces données s’ils réunissent les critères de la brevetabilité mentionnés plus haut. Par exemple, l’Office européen des brevets mentionne qu’une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne saurait constituer une invention brevetable. Par contre, si une séquence même partielle d'un gène est utilisée pour produire une protéine, même en partie, en spécifiant cette partie de protéine produite ainsi que la fonction qu’elle remplit, alors ladite protéine ou partie de protéine est brevetable mais pas la séquence d’ADN en elle-même.
Un autre exemple est la découverte d’une propriété jusque-là inconnue d’un matériau connu : il n’y a pas d’effet technique, c’est une simple découverte. Par contre il pourrait être breveté l’application de ce matériau pour exploiter cette nouvelle propriété. Par exemple un matériau connu auquel une propriété ignifuge jusque-là inconnue est découverte, est utilisé pour isoler un bâtiment. Ce couple matériau/nouvelle propriété appliquée à cette application pourrait être brevetable. De la même façon, si un élément de la nature est découvert celui-ci ne sera pas brevetable en tant que tel mais si celui-ci a un effet technique tel qu’une fonction microbienne, alors l’effet technique de l’élément pourrait être breveté pour cette fonction. Pour tous ces exemples mentionnés ci-dessus, cela signifie que des tiers pourraient utiliser la protéine, le matériaux ou l’élément découvert si l’utilisation ne met pas en œuvre l’effet technique breveté c’est-à-dire dans les exemples, la protéine pour la fonction brevetée, le matériau pour ses propriétés ignifuges ou l’élément pour sa fonction microbienne. Ainsi quelqu’un d’autre pourrait utiliser ce même élément pour un autre effet technique sans être dépendant du brevet anti microbien car on brevète l’effet technique et non l’élément découvert.
 
  • Les théories scientifiques, c’est-à-dire l’explication théorique d’un phénomène, ne sont pas brevetables. Par exemple la théorie de la gravité n’est pas brevetable. L’Office Européen des brevets (OEB) cite également en exemple la théorie de la semi-conductivité : la théorie n’est pas brevetable mais des nouveaux dispositifs semi-conducteurs et leurs procédés de fabrication seraient brevetables.
     
  • Les méthodes mathématiques comme par exemple une méthode de résolution d’équation est exclue de la brevetabilité. Pour être brevetable, la méthode mathématique doit a minima impliquer un moyen technique pour être mise en œuvre.
     
  • Les plans, les principes et méthodes employés dans l’exercice d’activités intellectuelles ne sont pas brevetables :
    • Par exemple une méthode d’apprentissage d’une langue.
    • En matière de jeu, ne sont pas brevetables une notice ou une règle du jeu (protégé par le droit d’auteur). Dans le domaine des activités économiques : d’après l’OEB, « des objets ou des activités de nature financière, commerciale, administrative ou organisationnelle entrent dans la catégorie des plans, principes et méthodes dans le domaine des activités économiques qui, en tant que tels, sont exclus de la brevetabilité ». Attention cette exclusion vaut pour l’Europe. Aux USA, il est possible, quoique plus difficile qu’auparavant, de breveter des méthodes commerciales.
       
  • Les programmes d’ordinateurs : L’OEB précise que l'exclusion ne s'applique pas aux programmes d'ordinateur qui produisent un "effet technique supplémentaire" lorsqu'il est exécuté sur un ordinateur. « On entend par "effet technique supplémentaire" un effet technique qui va au-delà des interactions physiques "normales" existant entre le programme (logiciel) et l'ordinateur (matériel) sur lequel il fonctionne ». Il faut ainsi identifier le problème technique qui est résolu par cette solution logiciel (les algorithmes). Dans ce cas, le brevet protège les algorithmes du logiciel, l’algorithme étant une suite finie et non ambiguë d'opérations ou d'instructions permettant de résoudre un problème ou d'obtenir un résultat. Un exemple de brevet « logiciel » qui consiste en un procédé (l’algorithme), traduit par la mise au point d’un logiciel, permettant de gérer la consommation en kérosène contenu dans les deux réservoirs situés de part et d’autre d’un avion afin qu’il soit toujours stable pendant son vol. Dans le cas d’un programme d’ordinateur, le brevet va donc protéger le procédé permettant d’aboutir à l’effet technique et le code ne sera pas mentionné dans le brevet. Ce dernier sera gardé confidentiel. Il sera déposé à l’Agence pour la protection des programmes afin d’obtenir une preuve de la création, le logiciel relève du droit d’auteur.
     
  • Les présentations d’informations ne sont pas brevetables. L’OEB précise que « l’on entend par "présentations d'informations", la transmission d'informations à un utilisateur. Sont visés à la fois le contenu cognitif de l'information présentée et la manière dont celleci est présentée [..]. Ce terme n'est pas limité aux informations visuelles. Il couvre en effet aussi d'autres formes de présentation, par exemple les informations audios ou haptiques. En revanche, il ne s'étend pas aux moyens techniques utilisés pour générer de telles présentations d'informations. »
 

Les exceptions à la brevetabilité :

Les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l’ordre public et aux bonnes mœurs comme par exemple un cercueil avec un pieu agencé pour s’enfoncer dans le corps du défunt lorsque l’on referme le cercueil et s’assurer ainsi que le défunt est bien mort, ou une mine antipersonnel.
Les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. L’Office Européen des Brevets mentionne comme non brevetable un procédé de fabrication d'une endoprothèse en dehors du corps humain, qui exige la mise en œuvre d'une étape chirurgicale pour prendre les mesures.
Il existe également des exclusions et exceptions concernant les inventions biotechnologiques notamment
  • Le corps humain ou la simple découverte d’un de ses éléments (y compris la séquence totale ou partielle d’un gène).
  • Les races animales et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux. Par exemple, l’OEB mentionne que « les végétaux transgéniques et les mutants induits de manière technique sont brevetables, contrairement aux produits de procédés d'obtention classiques. Ainsi, un procédé ne consistant qu'à croiser les lignées parentales des végétaux ou animaux et à sélectionner la descendance recherchée n’est pas brevetable. »
 

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