Quand les navires se font invisibles

Loin de toute perturbation électromagnétique, les chercheurs de l’Equipe de Recherche Technologique sur les Champs Magnétiques Faibles du G2Elab tentent de rendre les navires invisibles aux détecteurs de champs magnétiques des avions et des mines.
La discrétion est l’une des qualités premières d’un bâtiment militaire. Bien que la discrétion acoustique soit la plus étudiée, la discrétion magnétique fait également l’objet de recherches, au sein du G2Elab* notamment. Ces recherches sont menées sur la plateforme du LMMCF (Laboratoire de Métrologie Magnétique en Champs Faibles), située sur les hauteurs de Herbeys (voir encart ci-dessous).
Sous l’effet du champ magnétique terrestre et des forces s’exerçant sur le navire, l’important volume d’acier présent dans la coque acquiert une aimantation à l’origine d’une perturbation locale du champ terrestre. Cette anomalie est susceptible d’entraîner la destruction du bâtiment par d’éventuelles mines magnétiques, mais aussi de permettre la localisation des sous-marins par des magnétomètres sensibles embarqués dans des avions.
Lors de la seconde guerre mondiale, Louis Néel avait eu l’idée de compenser cette anomalie magnétique par une aimantation permanente artificielle en sens inverse, et l’avait mise en œuvre pour protéger les navires de la Marine. Aujourd’hui, les chercheurs de l’Equipe de Recherche Technologique sur les Champs Magnétiques Faibles travaillent sur un système d’immunisation en boucle fermée. L’approche consiste à compenser en temps réel l’anomalie créée par le bateau à l’aide de circuits électriques judicieusement disposés et alimentés, installés à l’intérieur du bâtiment, selon ses trois axes principaux. "Concrètement, des capteurs très sensibles sont disposés dans la coque du navire, explique Olivier Chadebec, directeur de recherches CNRS et directeur scientifique «micro-nano-électronique et génie électrique» à Grenoble INP. A partir de mesures internes, et grâce à des modèles de simulation sophistiqués, le système est capable d’évaluer le champ magnétique susceptible d’être perçu par un avion. En fonction du résultat, il calcule ensuite la quantité de courant à envoyer dans un jeu de bobines judicieusement placées autour de la coque, afin de générer un champ magnétique opposé en temps réel."
Ces travaux, menés pour la plupart en partenariat avec la Direction Générale de l’Armement (DGA) et/ou Naval Group (ex-DCNS), font appel à des compétences fines en métrologie. "Il faut en effet être à même de mesurer des champs magnétiques très faibles, d’une intensité environ 50000 fois inférieure à celle du champ magnétique terrestre", précise Laure-Line Rouve, ingénieur de recherche Grenoble INP et responsable technique des installations de Herbeys.

Les champs électriques ne sont pas en reste
Mais les champs magnétiques ne sont pas les seuls à créer des perturbations préjudiciables à la discrétion des navires. A basse fréquence, les champs électriques et magnétiques sont découplés. Or, avec la corrosion, les bateaux se comportent comme de grosses piles baignées dans un liquide conducteur. De ce fait, la différence de potentiel entre l’hélice constituée de bronze et la coque en acier génère un courant, lui-même à l’origine d’un champ électrique de faible intensité dont la signature est susceptible d’être détectée par des mines de dernière génération. En collaboration avec le LEPMI**, les chercheurs du G2Elab ont entamé des recherches pour la DGA dans le but de caractériser et réduire ces champs électriques.
Enfin, l’expertise du LMMCF est mise à profit dans d’autres domaines que la défense. Cela a déjà été le cas par exemple dans le cadre d’un partenariat avec le groupe Somfy pour « écouter » et classifier des moteurs de volets roulants, ou encore, comme actuellement, en imagerie médicale avec le Leti*** pour développer des IRM plus précis en champs cyclés.

*G2Elab : Laboratoire en Génie Electrique de Grenoble (Grenoble INP, CNRS, UGA)
**LEPMI : Laboratoire d'Electrochimie et de Physicochimie des Matériaux et des Interfaces (Grenoble INP, CNRS, UGA, USMB)
***Leti : Laboratoire d'Electronique et de Technologie de l'Information (CEA)


 
LMMCF
 

Le Laboratoire de Métrologie Magnétique en Champ Faible (LMMCF) a été construit en 1993 à Herbeys, à 10 km de Grenoble, dans un environnement magnétiquement stable. Ce centre de mesure permet de plonger des dispositifs de moyennes dimensions (maquettes) dans des champs magnétiques contrôlés et uniformes afin d'en mesurer très précisément la perturbation tout en s'affranchissant du champ magnétique terrestre. Il est principalement utilisé pour des recherches sur le magnétisme du navire.