

Interagir avec la machine
Depuis qu’existent les ordinateurs, la question de l’interaction entre l’Homme et la "machine" se pose. En cinquante ans, les progrès en interaction Homme-machine (IHM) ont permis de rendre l'informatique accessible au plus grand nombre. Aujourd’hui, la machine infiltre les objets du quotidien ; les modalités d’interaction se diversifient, offrant l’opportunité d’une interaction de qualité en tout contexte d’usage.
Depuis l’apparition de l’écran, du clavier et de la souris, "des progrès considérables ont été réalisés dans la compréhension des phénomènes d’interaction entre l’humain et les systèmes interactifs, explique Gaëlle Calvary, chercheuse au LIG (Laboratoire d'Informatique de Grenoble) et enseignante à Grenoble INP – Ensimag. Pour concevoir une interaction de qualité, il est indispensable de comprendre l’objectif de l’utilisateur et d’en connaître le contexte d’usage en termes de caractéristiques utilisateur, de ressources d’interaction disponibles et d’environnement physique et social. Le défi de l’ingénierie est, in fine, de livrer un produit utile et utilisable en contexte, c’est-à-dire adapté aux besoins et aux capacités de l’utilisateur dans sa situation précise d’interaction, tout en maitrisant les coûts de développement et de maintenance". Aujourd’hui, les modalités d’interaction se diversifient : les écrans, claviers et souris côtoient des dispositifs plus éclectiques, comme les casques de réalité virtuelle ou les objets connectés. L’interface n’est plus limitée au graphique : tous les sens sont explorés, en particulier, la voix, le regard, le toucher ou même la pensée, pour une interaction de qualité en entrée et en sortie !
Entre réel et virtuel : quand les frontières s’estompent
Avec l’apparition de nouvelles technologies de réalité virtuelle et augmentée, la frontière entre les mondes réel et virtuel est de plus en plus ténue. François Bérard, enseignant-chercheur Grenoble INP au LIG, développe des interfaces très originales : des HPCD (Handheld Perspective Corrected Displays) qui peuvent créer la sensation de tenir un objet 3D virtuel. "L’idée est d’offrir à l’utilisateur le geste le plus naturel possible". Avec son équipe, il a construit un HPCD sphérique par projection de l’image d’un objet dans une boule de polystyrène de 30 cm de diamètre. "L’image projetée est modifiée en temps réel en fonction de l’angle de vue de l’utilisateur, lui donnant l’impression que l’objet est réellement dans la boule". Les bénéfices de l’interaction avec cet écran sphérique ont été mis en évidence par rapport à un écran plat, mais aussi par rapport à l’objet physique lui-même, sans accès direct toutefois. Les chercheurs ont comparé les performances des utilisateurs avec ce HPCD et deux autres techniques d’interaction qui utilisaient un écran plan fixe et un écran tactile, ou un écran sphérique comme entrée indirecte. La tâche consistait à inspecter des énigmes virtuelles complexes en 3D. Des énigmes physiques ont également été testées comme références. Contrairement aux attentes, toutes les interactions virtuelles se sont révélées plus efficaces qu'un casse-tête physique plus "naturel".
Projeter du virtuel sur du réel pour l’augmenter serait donc une piste prometteuse en IHM. Cette limite entre réel et virtuel, Frédéric Noël, chercheur au G-SCOP (Laboratoire des Sciences pour la Conception, l'Optimisation et la Production) essaie aussi de l’estomper. Au laboratoire, les chercheurs disposent d’un ensemble d’outils puissants, permettant de se plonger totalement dans des mondes virtuels : casques immersifs (auditif et visuel) et même un mini-Cave (espace immersif de visualisation 3D) acquis récemment. "On peut capter les mouvements de tête de l’utilisateur pour faire varier son point de vue sur le monde virtuel, explique Frédéric Noël. Les modalités d’interaction sont variées : reconnaissance de geste grâce à des caméras ou des accéléromètres, de la voix, etc. Cela crée de nouvelles opportunités pour des applications professionnelles notamment pour répondre aux attentes de l'industrie 4.0".
Mieux comprendre les phénomènes et mieux agir
La symbiose entre les mondes réel et virtuel ouvre des perspectives extraordinaires. Stéphane Ploix, enseignant-chercheur Grenoble INP au laboratoire G-SCOP, coordonne un projet ANR dont l’objectif est de donner à l’utilisateur les moyens de comprendre les phénomènes énergétiques pour adapter son comportement en retour et en limiter ainsi l’empreinte sur l’environnement. Inventer des systèmes prévenants doués de capacités d’explications et de recommandations, tel est l’enjeu de ces recherches. Elles sont pluridisciplinaires et questionnent philosophiquement sur le curseur à placer dans le continuum allant du système interactif "outil" au "compagnon". Si les capteurs fournissent un grand ensemble de données, l’interprétation de ces dernières reste une difficulté. Inventer des représentations pour faire "parler les données", tel est le défi de la visualisation interactive. A l’Inria, Georges-Pierre Bonneau étudie, par exemple, la visualisation de la consommation électrique dans les bâtiments. On voit là toute la complémentarité des recherches et la force du site Grenoble Alpes sur la thématique.
Inventer et prototyper les mondes réel et virtuel
Pour pouvoir s’aventurer dans des mondes virtuels, encore faut-il les avoir créés. Pour que cela soit possible, il est nécessaire d’établir les modèles permettant de développer des contenus 3D. A l’Inria, Edmond Boyer travaille justement à la modélisation d’objets en mouvement : à partir de vidéos, il conçoit des modèles graphiques capables de reconstruire la scène en 3D pour la rejouer ensuite dans des mondes virtuels sous différents angles. "On peut construire des modèles de personnes qui peuvent être utilisés dans des mondes virtuels et interagir en temps réel avec eux". Plusieurs industriels ont déjà utilisé ces outils pour obtenir des hologrammes de danseurs, de modèles de mode ou de sportifs par exemple. Associés aux techniques d’impression 3D, ces moyens d’exploration virtuelle offrent des possibilités intéressantes dans le domaine du prototypage industriel. "Reste à définir le bon usage de chacune de ces méthodes et à déterminer quand le modèle virtuel doit laisser la place au prototype physique, souligne Frédéric Noël. Nous disposons de moyens de plus en plus riches, qu’il faut rendre cohérents et mettre en œuvre de façon pertinente".
Céline Coutrix, ingénieur Ensimag, jeune chercheuse prometteuse récemment récompensée par la médaille de bronze du CNRS rêve d’un monde physique déformable, c’est-à-dire d’objets physiques capables de changer de forme. "L’enjeu est de développer des interfaces physiques modulables combinant le meilleur des deux mondes : la sensation physique des objets réels, et la flexibilité du logiciel", explique-t-elle. Ainsi, elle a mis au point des boutons rotatifs qui peuvent se transformer en boutons linéaires (sliders), et des surfaces sous lesquelles des picots motorisés se soulèvent l’un après l’autre pour mimer des sliders. L’interface physique s’adapte à la fois à la tâche à réaliser et aux capacités d’interaction de l’usager.