Grenoble INP Rubrique Recherche 2022

Des circuits intégrés dans la stratosphère

Raoul Velazco, chercheur CNRS à l'IMAG, traverse régulièrement l'Atlantique pour envoyer des circuits intégrés dans la stratosphère ! Ces travaux sont menés dans le cadre du projet ALFA NICRON, dont le but est d'étudier les problèmes induits par l'environnement radiatif naturel sur les circuits intégrés.

Pouvez-vous nous décrire le contexte dans lequel sont menés ces travaux ?

Raoul Velazco : L'incessante réduction de la taille des circuits intégrés augmente leur sensibilité aux neutrons présents dans l'atmosphère terrestre. Lorsqu'une de ces particules traverse un circuit intégré, l'énergie transmise est suffisante pour provoquer une réaction et engendrer un "bug". Dans certains cas, les conséquences peuvent être critiques. Souvenez-vous de la Vel Satis de Renault, qui avait rencontré des problèmes de régulateur de vitesse. Il a été prouvé depuis que ces dysfonctionnements peuvent avoir été provoqués par l'impact d'un neutron ayant provoqué une faute transitoire dans l'un des circuits du contrôleur du régulateur de vitesse. On a également rapporté des cas de déclenchements intempestifs d'airbags directement liés à l'environnement radiatif naturel.

La caractérisation sous rayonnements constitue donc une étape déterminante pour la compétitivité et la fiabilité de circuits intégrés avancés.

Comment procédez-vous pour étudier le comportement des circuits face à ces phénomènes ?

R. V. : Si l'on veut obtenir des résultats dans les conditions normales de fonctionnement d'un circuit donné, cela peut prendre beaucoup de temps car les flux de particules sont faibles. Afin d'optimiser les "chances" d'observer des erreurs, les circuits étudiés doivent être exposés à des flux de particules beaucoup plus importants que ceux rencontrés dans les conditions normales de fonctionnement.

Comment ? On sait que le flux de radiations augmente avec l'altitude. Ainsi, on estime qu'au sol (référence la ville de New York) il parvient environ 14 neutrons dits "thermiques" par heure et par centimètre carrés, mais à 3000 mètres, on en trouve environ 10 fois plus. Mieux : à 15000 mètres, on observe un pic de neutrons. D'où l'idée d'envoyer les circuits à tester dans un ballon stratosphérique. Les études logistiques préalables ont été réalisées dans le cadre du projet ALFA NICRON, et ont démontré la faisabilité des tirs.

Quels sont les premiers résultats et quelles suites comptez-vous donner à ce projet ?

R. V. : Nous avons fait partir un premier ballon d'Uruguay en avril dernier. Un second tir a eu lieu en septembre, et un troisième sera réalisé fin décembre. Il a été démontré que la plateforme expérimentale (GPS, capteurs de température, télémétrie) était opérationnelle. Le lancement de décembre a pour but principal l'obtention de mesures du nombre d'erreurs dues aux radiations sur une carte mémoire réalisée à l'aide de SRAMs de deux générations différentes. Les résultats de ce type d'expérience doivent concerner tous les secteurs où la sûreté est primordiale, comme les secteurs spatial, aéronautique et médical. Pour les circuits les plus critiques, trois types de solutions sont envisageables : utiliser des technologies de fabrication moins sensibles aux perturbations radiatives, adapter le design des circuits en intégrant des techniques de détection et/ou de correction d'erreurs, ou enfin, au niveau système, tripler les modules (matériels ou logiciels) afin de renforcer la sécurité comme c'est déjà le cas dans les avions. Ces expériences, effectuées dans le cadre du projet ALFA NICRON, sont au cœur de la thèse de Paul Peronnard (doctorant INP), dont la soutenance est prévue en 2009.